lundi 24 juin 2019

Un parfum nommé sexisme

Il flotte dans l'air.
Subtilement,
Il pique les yeux,
Donne la nausée.
Il frôle mon corps.
Il s'accompagne,
D'un son hostile.
Lui échapper,
Le dénoncer,
C'est s'enfoncer
Dans le sable noir.
C'est se noyer.
Justifications,
Pour détourner
Les olfactives.
Ses larmes factices,
Accusatrices,
De parfumeur
Si bienveillant
Inversent les rôles.

dimanche 16 juin 2019

Crabe

La tête qui tourne.
Des coups venus de l'intérieur.
Les oreilles qui bourdonnent.
Réceptionner les mots qui dansent
Dans la tête.
Figer un sourire.
Hurler à l'intérieur.
Sortir.
Fuir.
Les larmes qui roulent,
Dès que le silence intérieur s'installe.

Les têtes flottantes

A partir de faits réels.


Le brevet

Les bruits de la rue montaient vers la fenêtre de la chambre entrouverte afin de profiter des premières nuits chaudes de l'été. Étendu sur le lit, les yeux rivés vers le plafond, le jeune homme déroulait sa journée. Il s'était réveillé avec l'odeur du café. La maison était déjà vide quand il avait quitté la salle de bain après une longue douche accompagnée de la musique.

Le rituel du matin avait démarré. Un coup d’œil au miroir. Une marche lente vers le tram. Il allait encore être en retard, ce qui le souciait peu. Il était content d'avoir changé de collège. Il se sentait moins différent dans ce nouvel établissement. Il avait trouvé sa place rapidement. Ses absences et retards étaient tolérés.
Après un démarrage difficile, les cours s'étaient écoulés comme d'habitude, à un détail près. L'approche du brevet planait dans chaque salle de classe. Chaque professeur le disait comme si les élèves l'ignoraient. Il s'en amusait.
Le midi, il avait posté selfie et vidéo pour sa communauté virtuelle. Il aimait se montrer et inventer son univers ce qui pouvait, parfois, le conduire dans des situations complexes. Il souriait en y pensant.
L'après-midi, à l'image de la matinée, ressemblait à l'après-midi de milliers d'élèves.
C'est à la fin des cours que tout avait basculé.
Il était attendu. La décision tant espérée avait été prise et le plongeait dans un état d'inquiétude, en
contraste avec l’insouciance de ses camarades.
Tout était allé très vite. Il avait été emmené entre ces quatre murs, dans un espace restreint.
Sa famille devait s'inquiéter de son absence désormais.
Aux aguets, Nolan écoutait la respiration de cet inconnu qui partageait désormais ces quelques mètres carrés.

Il s'était inquiété de l'absence de nouvelles de l'avocate. Il espérait une décision rapide. Pour avancer. Et maintenant il était là, entre ces murs. La décision était tombée alors que l'approche de l'examen lui avait fait oublier un instant sa situation.


L'accueil

Cela faisait plusieurs mois que sa vie s'était stabilisée. De famille d'accueil en famille d'accueil, il avait finalement trouvé un équilibre chez Gwenaëlle.
Après trois mois chez un couple sans enfant, il avait enchaîné les déménagements dans trois familles. En fonction de leur disponibilité.
Chacune lui apportait quelque chose. De l'attention, des soins, des règles de vie qu'il avait perdu, des sorties.
C'est quand l'une d'elles s'était désistée que Gwenaëlle avait fait son entrée dans sa vie. Mère isolée de trois enfants dont deux filles majeures, elle avait accepté de lui ouvrir sa porte.
Peu importe son passé.
Le courant est très vite passé entre eux.
Elle vit en centre ville, dans une maison au calme, dans laquelle, il avait sa chambre. De la place pour ses affaires. Il bénéficiait d'autonomie et les règles étaient plutôt souples.
Les déménagements incessants étaient derrière lui. Il pouvait enfin se projeter.
Il avait l'impression de retrouver une partie de la vie qu'il avait été contraint de laisser.
La ville était suffisamment grande pour lui rappeler la capitale où il vivait, il y a encore quelques mois.
La générosité de Gwenaëlle lui faisait oublier le milieu privilégié qu'il avait perdu.
Elle avait su le rassurer en lui préparant des plats épicés comme il les aimait. Elle appréciait la musique qu'il mettait et riait devant ses danses endiablées devant le miroir.

Elle devait se demander ce qu'il lui était arrivé en trouvant sa chambre vide.


Premier baiser

Sa vie était devenue chaotique par un bel après-midi, alors qu'il avait 14 ans. C'était si loin à ses yeux. Presque deux ans s'étaient écoulés depuis.


En sortant du collège, il avait cherché son regard des yeux et son cœur s'était dérobé dès que leurs yeux s'étaient croisés. Il avait parlé comme pour se donner du courage. Il riait et laissait apparaître ses dents blanches qui contrastaient avec sa peau brune.
Ils avaient marché un moment en riant aux éclats et avaient trouvé refuge à l'ombre d'un arbre.
Les corps s'étaient frôlés et les rires avaient fait place aux sourires gênés. Une onde électrique le traversait. Ils avaient laissé leurs mains se trouver. Son cœur avait bondi. Il avait alors approché ses lèvres de sa bouche. Un courant électrique l'avait fait tressaillir.
C'est alors que des cris rompirent ce premier baiser. Cet instant magique.
Les cris redoublèrent et la peur pris possession de leurs yeux. Une foule en colère se dirigeait vers eux.
Ils se levèrent d'un même élan et d'un regard entendu, détalèrent.
La foule les poursuivait et sa course fut stoppée par une douleur vive. Le sang coulait. Sa jambe entaillée lui arracha un cri.
Il tomba et sentit son corps se meurtrir. Les coups pleuvaient. Sur les bras. Sur le visage. Un coup plus violent dans le dos lui arracha la peau avec une douleur horrible qui lui fit perdre connaissance.
La foule s'acharna et se dispersa lorsqu'une femme cria qu'il n'était qu'un enfant.
Revenu à lui, il se leva choqué. Elle lui parlait. Il avait une seule idée. Se cacher.
Après l'avoir rassuré de longues minutes, la femme commença les soins. Elle lui proposa de venir chez elle afin d'éviter la police.
Chez elle, il serait en sécurité. Elle était respectée de tous.
Les plaies étaient importantes. Elle lui proposa de partir dès le lendemain à la recherche de son premier amour, Enjeck.
Enjeck avait, de son côté, réussi à fuir. Sans subir la fureur de la foule.


Objectif, l'Italie

En quelques heures, Enjeck avait organisé leur départ grâce à son frère qui avait quitté l'Afrique pour l'Italie, quelques années plus tôt.
Nolan décida de suivre son premier amour sans être rentré chez lui. Sans avoir embrassé sa mère, ni serré son frère aîné dans ses bras. Sans prendre ses affaires. Il resta caché chez l'infirmière qui lui avait porté secours.
C'est de nuit qu'ils avaient suivi le passeur, accompagnés de fuyards, comme eux. De nuit, qu'il avait
quitté cette femme qui laissa perler des larmes devant son visage enfantin inquiet.
Le début du parcours se passa bien. Ils roulèrent jusqu'aux portes du désert. C'est dans ce milieu hostile que le premier hurlement de douleur retenti.
Une femme venait de réaliser que son bébé avait émis son dernier souffle. Le groupe solidaire lui fit entendre raison pour repartir sans ce petit corps. Au gré des morts, le groupe fondait.
Un véhicule rompit la souffrance de la faim et de la soif. Bon ou mauvais présage. Les migrants furent pris en charge puis séparés. Les hommes et les adolescents se retrouvèrent groupés dans une grande pièce, les femmes et les adolescentes ainsi que les plus jeunes, dans une autre.
Rapidement Nolan compris qu'ils étaient devenus des esclaves sexuels. Chacun est emmené à tour de rôle. Chacun revenait, les yeux vidés de vie. Silencieux. Honteux.
Il souffrait et essaya rapidement d'amadouer un bourreau, plus jeune. Celui-ci faisait en sorte de l'épargner.
Combien de temps dura ce calvaire ? Il n'en avait aucune idée. Le temps était irréel.
Le salut vint lors d'un départ des geôliers. Le seul restant à les surveiller tomba dans l’embuscade qu'ils avaient mené.
Ils fuirent et se retrouvèrent rapidement en ville. Ils étaient en Libye. L'Europe approchait.
Ils furent rapidement approchés par des passeurs.
Le départ eut lieu dans la nuit, à bord d'un bateau de fortune. Les gardes-côtes écourtèrent la traversée et quelques heures plus tard, après une courte captivité, ils foulaient à nouveau ce pays qu'il détestait tant.
Ils passèrent des jours désœuvrés à attendre un nouveau départ.
Enfin le signal fut donné.
Ils étaient plus nombreux que la première fois et le bateau semblait moins grand et en moins bon état.
C'est le cœur battant qu'il prit la mer avec Enjeck. Le silence inquiet pesait sur les têtes. Seul le bruit de la mer berçait les plus jeunes.
Les côtes étaient loin quand le froid les surprit.


Le naufrage

La nuit était impénétrable. L'humidité s'infiltrait sous les vêtements et le faisait frissonner. Le bateau était instable. Il était aux aguets. Terriblement inquiet. Une vague s'invita à bord. L'eau saisit les chevilles. Les premiers hurlements retentirent et la peur provoqua un mouvement brusque qui fit chavirer le bateau.
Nolan saisit son ami et tenta de le maintenir hors de l'eau. Encore accroché au bateau, il sentit sa main glisser et hurla quand son ami s'enfonça dans l'eau noire. Nolan nageait suffisamment bien pour se maintenir hors de la gueule béante de la mer. L'eau était froide et le bateau s'enfonçait inexorablement. Il entendait les cris déchirants des naufragés.
C'est alors qu'un faisceau lumineux balaya la mer et revigora d'espoir son cœur brisé.
L'Aquarius.
Il était là. Il était sauvé. Il devait tenir. Il devait réussir.
Il ferma les yeux pour échapper à la vue des corps démunis de vie qui surgissaient par dizaines et pria.


Nouvelle vie

Nolan avait atteint son but. Il était là dans cette chambre avec cet inconnu qui était comme lui, un mineur migrant qui avait fui la violence subie, en raison de son orientation sexuelle. Il avait compris qu'il était différent et que cette différence ferait honte à sa famille. Qu'ici, il pourrait être qui il est.
Reconnu mineur. Enfin. Il attendait tellement cette nouvelle.
Arraché à ses habitudes à la sortie du collège, il pourra prévenir Gwenaëlle dès que son voisin lui prêtera son chargeur. Il avait négligemment laissé le sien ce matin, mal réveillé malgré la longue douche. Il voulait la rassurer. Elle devait être folle d'inquiétude avec la menace permanente des proxénètes.
18 mois après avoir posé le pied sur le sol italien, 14 mois après son arrivée en France, enfin il allait passer son brevet dans quelques jours avec un soucis un moins.
Deux ans qu'il avait quitté le c
ollège international au Cameroun.
Deux ans.
Il espérait que ce nouveau statut effacerait enfin les têtes flottantes. Toutes ces vies volées par la mer, à la coque de L'Aquarius.



Derrière une personne migrante, se cache une histoire. Une envie de vivre.

lundi 10 juin 2019

Monstres nocturnes

Aux aguets.
L’œil scrutateur. 
Le cœur battant. 
Le voir.
Le cœur qui cogne.
Qui cogne jusque dans mes oreilles.
Gérer la respiration.
Statique.
Se faire petite.
Il avance lentement.
Se demander ce qu'il va faire.
Son geste rapide frôle mon visage.
Il se détourne.
Virevolte.
Avance le poing.
Mes bras cachent mon visage.
Dents serrées.
Apeurée.
Il s'amuse de ma peur.
Ses yeux sont terrifiants.
Ses yeux affichent sa nature.
Et il s'éloigne.
Comme si rien n'était arrivé.
Le silence.
Le silence.
Le terrible silence.
Des minutes entières à attendre.
A s'interroger sur ce qu'il va faire.
Se demander s'il va revenir à charge.
Attendre que la survie reprenne son cours.
Feindre l'inexistence de la scène,
pour mieux endormir la bête.
S'enfermer dans la peur et la solitude,
En affichant un visage neutre.

Tête de mule

Dans un wagon bondé
Ils sont là, accoudés,
À noyer leur triste vie 
Par ce bel après-midi 

Le visage gravé
De chemins obscurs,
Vallonnés
Par les bulles ambrées 

Les yeux absorbés
Par le vide de leur vie,
Les gestes automatiques 
Se répètent à l'infini 

À peine installés 
Le verre déjà vidé,
Ils s'effacent 
Au milieu des voyageurs