Je vous écris pour vous indiquer mon incompréhension et mon désarroi face à ma convocation en vue d’une médiation pénale en tant que victime m’opposant à mon mari pour :
– violence suivie d’une incapacité n’excédant pas 8 jours par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civile de solidarité
– violence sans incapacité par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civile de solidarité
A la signature de la convocation à cette médiation à la gendarmerie, tout s’est effondré. La peur s’est réinstallée. Mon corps s’est crispé. Les larmes ont ravagé mon visage amaigri. Mes dents se sont entrechoquées. Mes lèvres ont tremblé. Je suis repassée en mode survie. Cette réponse judiciaire, c’est donner la possibilité à mon bourreau de recommencer. Je me suis sentie à nouveau incomprise.
Une nouvelle question a surgi. Pourquoi ne pas avoir été réexaminée en décembre au centre médico-légal alors que les 10 jours d’ITT de la remplaçante du médecin traitant n’étaient pas recevables ? Je voulais mourir. Je voulais que ça s’arrête. J’étais si mal…
C’est le lendemain de ma visite au CHU où un certificat de 3 jours d’ITT a été porté à mon dossier fin novembre (après mon deuxième dépôt de plainte au commissariat) que je suis tombée. Les idées noires. La remplaçante du médecin traitant m’a conseillé les urgences. Je ne voulais pas laisser mes enfants. J’avais peur qu’en cherchant de l’aide psychologique, il s’en serve contre moi. Il me l’a tant dit. J’ai lu le certificat bien après. Lire ce que j’étais : un choc. Deux jours après, j’ai composé le 17 comme indiqué au 3919. C’était allé trop loin. Une fois encore. Mes enfants ont pris ma défense. Ils ont crié. Pleuré. Personne n’est venu. Je n’étais pas menacée de mort. Je n’étais pas frappée. Une énième crise d’angoisse s’est emparée de moi. J’ai fait les valises en moins de 20 minutes et je me suis présentée à la gendarmerie en larmes avec des enfants choqués. Je tremblais. J’avais peur. Terriblement peur. J’ai été confrontée à mon mari et renvoyée chez moi…
Pourtant, aux manifestations de la violence décrites sur
www.stop-violences-femmes.gouv.fr,
j’ai répondu :
– physiques : CONCERNEE
– verbales : CONCERNEE
– psychologiques : CONCERNEE
– sexuelles : un gendarme a lancé « enfin entre époux… » J’ai hésité. Je me suis murée. J’ai minimisé. Deux autres auditions et la patience de l’adjudant avec les encouragements de l’assistante sociale de la gendarmerie, et je me suis livrée : CONCERNEE.
– économiques : avec hésitation, j’ai dit CONCERNEE.
– au moyen de confiscation de documents : non concernée.
… soit 6 formes de violences sur 7.
« Vous ferez l’objet d’une attention particulière de la part des services de police ou des unités de gendarmerie qui ont mis en place des dispositifs d’accueil et d’aide aux victimes : intervenante sociale, psychologues, permanence d’association d’aide aux victimes ».
www.stop-violences-femmes.gouv.fr
Renvoyée chez moi. Un dimanche. Entendue. Incomprise. La décision du parquet : attendre un mois. J’ai pleuré. Je me suis sentie abandonnée. Abandonnée par l’Etat. Aucune solution pour être hébergée. Etant donné l’ampleur des femmes victimes, les places sont rares. Je l’ai découvert à mes dépends. J’ai frappé à toutes les portes. J’ai utilisé tous les leviers qui se présentaient à moi. En vain. Mais pire. Lâchée par le 17, j’ai été abandonnée par la justice. Attendre quoi ? L’irréparable ? Je me suis dit en août que j’avais été au bout de ce que je pouvais supporter. Nous étions en décembre. J’étais mal. Tellement mal. Tel un automate, je menais ma vie en masquant comme je pouvais ce que je ne pouvais plus cacher. J’ai continué à subir. Le passage à la gendarmerie le freinait à peine. Les crises de larmes, la fatigue, la peur, j’ai commencé à parler un peu plus. A accepter mon statut. A le comprendre. Mais où aller ? J’ai refusé d’entendre les assistantes sociales qui me disaient de m’arrêter, que j’étais en état de choc. Si je m’arrêtais, je savais que je ne me relèverais pas. Et j’ai tenu. J’ai subi. Et j’ai cherché un logement. Réutiliser les leviers. Tenir. Travailler. S’entourer coûte que coûte.
Du 16 décembre au début de mes vacances, le 20, je n’ai pas réussi à retenir mes larmes au bureau. Mes collègues m’ont soutenue dans le travail. Des étourdissements s’emparaient de moi quand je marchais.
Le 27 décembre, soit un mois après avoir composé le 17, j’ai vu mon mari 20 minutes. 20 minutes d’enfer. La spirale qui consiste à me violenter verbalement. Représentez-vous des mois de violence et ces 20 minutes. A chaque défense, une attaque. Représentez-vous ces 20 minutes devant deux co-victimes. Représentez-vous ces 20 minutes quand vous êtes exténué par des mois de nuits écourtées sur un canapé ou un matelas au sol avec vos nuits rythmées par un cœur apeuré alors que vous travaillez, que vous avez des déplacements, une maison à tenir, vos activités sportives et des enfants. 20 minutes alors que votre corps vous lâche. 20 minutes. J’ai craqué. J’ai pleuré. Le benjamin de mes fils m’a fait un dessin criant. Le 29 décembre, j’ai posté ma souffrance sur un blog. La réaction de mon entourage m’a fait comprendre que c’est ma vie qui était en jeu. Deux heures avant que mon mari ne revienne les crises de larmes, l’angoisse, la peur et le stress se sont emparés de moi. L’aîné de mes fils s’est interposé une nouvelle fois à son retour, pour me protéger. Insupportable cette inversion de rôle. Pas de décision du parquet. Je suis partie. Le 30 décembre. Sans mes enfants. Je me suis dit qu’il valait mieux restée une mère éloignée de ses enfants qu’une mère morte. La mort me guettait. Si j’étais restée, elle se serait emparée de moi. Je dois mon salut à la promesse le 27 décembre d’un studio, aux réactions de mon entourage au sujet de ce blog où les idées noires prédominent et surtout à l’envie de rester en vie pour mes enfants. Ce jour-là, j’ai compris que je devais aussi défendre mes enfants. J’ai barré l’option hospitalisation à la demande d’une amie. Pour mes enfants. Si j’étais entrée au CHU, j’y serais encore. Je savais que je ne pouvais rester plus longtemps chez nous. Partir sans mes enfants…
Ce que je me suis refusée à faire est arrivé. La crainte de ne pouvoir les revoir. Seule une mère apeurée peut en arriver là. Les enfants. Leurs maux me transpercent, leurs joies me transportent. Sans toit, sans eux, accompagnée de la peur, la fatigue, j’ai fui avec un sac et l’envie de vivre. L’envie de leurs montrer une autre image. L’envie de construire un foyer apaisé. Errance du 30 décembre au 7 janvier alors que je travaillais… SDF. Imaginez le départ des enfants après l’école le 6 janvier. Hébergés chez une amie. Imaginez notre première semaine dans ce meublé (46 m2 au lieu de 23 : un miracle). Imaginez le déménagement chaque soir après la classe de ce que j’avais mis dans ma voiture. Les nuits écourtées par les trajets. Le refus des enfants que je dorme dans le salon. Leur fatigue mêlée de soulagement. Mon épuisement. Imaginez les allers retours à la laverie avec deux enfants. Gardez à l’esprit que c’est moi la victime épuisée qui doit me démener. Imaginez mon angoisse chaque semaine quand je dois récupérer l’aîné chez son père. Pas de garderie pour les collégiens. Pas de solution. J’ai tout mis en œuvre pour déménager. Près du collège. En avril. En moins de 4 mois. J’ai dépensé beaucoup d’énergie. Pour ne plus à avoir à repasser chez mon mari. Dans cette maison où j’ai tant souffert. Dans cette belle maison qui fait naître la panique. Dans cette maison où j’ai erré. Dans ce huit clos.
Je vous en supplie : ne m’imposez pas cette torture. Pas de trace sur le corps est ce que ça signifie délit mineur ? Pourtant mon corps porte les stigmates de ces agressions. Les os saillants. Les cernes. Le regard éteint. Invisible mais pire : la mémoire auditive. La mémoire des gestes. Cette mémoire qui vous replie sur vous-même, vous fait sursauter, vous anéantie des semaines après. La clé du voisin dans la serrure et mon cœur s’emballe. Je n’ai pas été réexaminée. Je réalise que je mettrai des années avant de vivre vraiment. Que les larmes n’ont pas fini de rouler sur mes joues. Le sourire. La joie de vivre. Les projets. Et le moindre évènement et je sombre. Je pleure encore et encore. Des mains se tendent et je repars. Rester mère. Mettre de côté mes souffrances de femme. Pour eux. Pour qu’ils vivent une vie insouciante d’enfants après ces mois d’angoisse à guetter. A protéger. Le pénal séparé du familial : une épreuve supplémentaire.
Prisonnière de mon bourreau. Je suis restée relativement près de mon ancien domicile dans le but de maintenir leurs repères et de ne pas chambouler leur scolarité. De garder le lien paternel. J’avance mais je souffre et cette réponse judiciaire contribue à me freiner. Soulagée d’être reconnue victime. Pour autant mon quotidien est pénible. Pas un trajet retour de travail où mon corps ne se détend. Pas une minute où mon corps est libre de toutes tensions. Pas une heure sans que mon passé ne surgisse. Pas un jour ne passe sans qu’un torrent sillonne mes joues creusées. Pas une nuit qui soit douce et paisible. Pas une semaine sans que les flashs tourmentent ma vie dans des moments heureux.
Il ne s’agit pas d’un conflit entre deux personnes.
« Vous n’êtes pas responsable des actes de votre partenaire ou ex partenaire. (…) Il est seul responsable de ses actes de violence qui sont punis par la loi. » www.stop-violences-femmes.gouv.fr
Il s’agit d’un agresseur avec emprise.
Comment pouvez-vous envisager une médiation dans une telle situation ? Comment est-il possible en 2014 de considérer les violences conjugales comme un délit mineur ? Comment ces agressions répétées peuvent-elles être minimisées et jugées au même niveau qu’un vol à l’étalage ? La séparation a multiplié la violence… mais cela fait longtemps qu’elle est là. Il ne s’agit pas d’un égarement de quelques jours. D’un coup de sang. Non. Un acharnement. Une manipulation. Les gendarmes ont dit ce fameux soir 1er décembre, que nous n’étions pas des cas sociaux, que ça s’arrangerait. NON !!!!!!!!! Evidement…
IL NE S’AGIT PAS D’UN CONFLIT. Même éloigné, il m’atteint à travers mes enfants dont il se sert pour maintenir la pression. Il m’atteint par SMS. Je suis partie. Je suis meurtrie. Je suis épuisée. Je me sens seule. Démunie. … et pourtant, je suis entourée, je travaille, je suis dans mon pays… Le pays qui a fait en 2010 la lutte contre les violences faites aux femmes la grande cause nationale. Comment 4 ans après pouvez-vous me jeter dans la gueule du loup ?
« L’option de l’alternative aux poursuites avec mise en œuvre d’une médiation pénale doit par principe être exclue dans le contexte des violences conjugales ».
Violences conjugales et parentalité, Edouard DURAND, magistrat ayant exercé les fonctions de juge aux affaires familiales et celles de juge des enfants.
Cette convocation est un coup de couteau dans mon cœur meurtri. La chute dans le vide. C’est l’effarement. C’est l’incompréhension. C’est le coup de grâce. C’est un décalage ENORME entre tout ce que j’ai entendu à SOS femmes, lu sur les sites du gouvernement dédiées aux femmes et ce que les spécialistes s’accordent à écrire. Un tabou. Un fossé entre les promesses officielles et la réalité. Un océan entre les lois et leur application. C’est difficile de reconnaître mon statut, de l’accepter, de partir. Je refuse d’entendre une réponse pénale à l’opposé de ce qui est si difficile à accepter et qui me fait tant souffrir, celui de victime de violences conjugales.
Je vous remercie de bien vouloir examiner une autre possibilité judiciaire afin de m’épargner ce face à face qui est inimaginable et de permettre de solidifier ma reconstruction si fragile entamée.
Contente que ce courrier publié dans le livre serve aujourd'hui de sensibilisation
RépondreSupprimerMerde...10 ans apres je me rends compte de ce par quoi je suis passée...et pourquoi je ne vais toujours pas bien.Je vais te lire et te relire, pour commencer.Merci. J'avais aussi un projet en tête pour me soigner, je dois encore réfléchir. Merci encore.
RépondreSupprimer